Photos:Anika Bédard et André Pouliot
Depuis quelques années, je côtoie de
véritables phénomènes sur les patinoires de la région de Québec.
Que ce soit sur les interminables droits du 400 mètres de
l’anneau de glace Gaétan-Boucher ou les virages serrés du
111 mètres des patinoires intérieures, trois d’entre eux ont
particulièrement capté mon attention, du fait que ces mordus de
vitesse sur glace ont tous les trois dépassé l’âge vénérable
de 65 ans.
Curieuse
et, je l’avoue, charmée, j’ai voulu en apprendre davantage sur
les particularités que comporte la pratique du patinage de vitesse
chez de si augustes athlètes. J’ai donc rencontré Jules Lefebvre,
66 ans, Gaétan Rochette, 69 ans, et Yves Garneau, 75 ans,
pour parler de patin et de dépassement de soi, mais aussi pour en
connaître un peu plus sur leurs motivations, leur parcours et les
défis qu’ils prennent plaisir à relever sans relâche.
Au commencement était le longue piste…
C’est
en 2012 que le fougueux Jules Lefebvre s’initie au patinage de
vitesse sur longue piste. Son ami cycliste Gilles Champagne, un
patineur très impliqué au sein du Club de patinage de vitesse des
maîtres de Québec (CPVMQ), lui propose d’essayer le patin comme
activité complémentaire au vélo pendant les longs mois de neige.
« Le patinage de vitesse, c’était toujours dans ma tête.
Dans ma vie, ça m’a toujours intéressé, mais je pensais que
c’était inaccessible au grand public », confie-t-il. D’abord
relégué au rang d’activité de second ordre, le patinage de
vitesse acquiert bientôt une valeur intrinsèque et devient pour lui
une discipline à laquelle se consacrer entièrement. Ainsi, Jules
est toujours prêt à patiner des longues distances et déplore
d’ailleurs que l’épreuve de 50 km ne figure plus au
programme du marathon de Québec.
De son côté, Gaétan Rochette, véritable
pionnier du patinage de vitesse à Québec, grimpe sur des longues
lames pour la première fois en 1982. Il saute d’abord sur le
400 mètres dans l’intention d’accompagner son fils lors
d’entraînements sur l’anneau de glace. Le parcours de Gaétan
révèle les premiers balbutiements du patinage de vitesse chez les
maîtres dans la capitale. En 1987, Pierre Gagné fonde le Club des maîtres de Québec, où il fait office d’entraîneur. « Pierre Gagné a
été mon premier coach.
Il m’a dit : "Suis-moi et fais comme moi!" »,
s’amuse Gaétan, qui s’implique dès lors énormément dans les
coulisses du patinage de vitesse, notamment au sein du CPVMQ, de
l’IMSSC (regroupement international des maîtres en patinage de
vitesse) et du MSI (Série internationale de marathon sur glace), en
plus de participer à nombre de compétitions régionales,
provinciales, nationales et internationales.
Quant
à Yves Garneau, animé d’un esprit de compétition hors du commun,
il chausse des patins de vitesse pour la première fois à l’âge
de 59 ans. Ce qui l’attire d’abord dans ce sport, c’est la
beauté de la glisse et l’élégance du mouvement. Il se rappelle
comme si c’était hier sa première expérience sur l’anneau de
glace Gaétan-Boucher, un soir d’automne, sous une pluie
torrentielle. Malgré tout, c’est le coup de foudre, et Yves ne
pourra réprimer l’envie d’acheter des patins clap, quelques
jours plus tard. Comptant aujourd’hui 75 médailles à son
actif, il affirme être mû par le désir de compétitionner et de
vaincre, de se hisser parmi les meilleurs maîtres au monde et de
remporter des médailles dans sa catégorie. Son amour des marathons
provient également de la sensation de liberté que les vastes
étendues de glace naturelle suscitent en lui.
… Puis vint le courte piste
Pour
des patineurs jusque-là tenus à la merci des caprices de Dame
Nature sur l’anneau de glace extérieur, l’attrait du courte
piste réside d’abord dans la prévisibilité et la constance des
conditions d’entraînement. Même lorsque les hivers sont cléments,
les conditions peuvent être difficiles sur l’anneau de Sainte-Foy.
Si la neige et la pluie peuvent carrément causer la fermeture
temporaire de l’ovale, les vents cinglants et les froids cruels
peuvent, quant à eux, décourager plus d’un patineur de s’y
aventurer. Ainsi, avant de joindre les rangs du Club régional
d’entraînement des Mustangs en patinage de vitesse de Québec
(CREM-PVQ), un club fondé en 2014 se dédiant principalement au
courte piste chez les séniors et les maîtres, nos trois diables se
retrouvent une fois par semaine avec d’autres maîtres à l’aréna
de Saint-Étienne, sur la rive sud de Québec, pour enfiler des tours
à la bonne franquette, sans entraîneur ni plan d’entraînement,
et en installant les matelas de protection plutôt rustiquement.
Puis,
c’est Yves qui saisit le premier l’occasion de s’entrainer plus
sérieusement en courte piste, n’hésitant pas à s’inscrire avec
les Mustangs dès la naissance du club. L’année suivante, il
enrôle son ami Gaétan, qui est ensuite suivi de Jules, au début de
la saison actuelle.
Leur
arrivée en courte piste entraîne un lot d’apprentissages
inattendus qui enrichissent leur performance et attisent leur passion
pour le patinage de vitesse. Ils se heurtent à de nouveaux défis,
comme le contrôle de la vitesse, la recherche de stabilité ou
l’apprivoisement de leurs craintes. En courte piste, tout se passe
très rapidement, l’adrénaline fuse, et beaucoup de patineurs
circulent en même temps sur une surface aux dimensions plutôt
limitées. Il faut assimiler de nouvelles règles de sécurité,
apprendre à gérer un nouvel espace, à faire des relais, à
dépasser, à patiner suivant divers tracés, il faut affiner sa
technique. Les virages serrés du 111 mètres ne pardonnent
guère les écarts de manœuvres.
En peu de temps, ils se rendent compte que
les avantages considérables de tous ces apprentissages sont
transposables sur longue piste. Pour Gaétan, qui n’avait jamais
vraiment bénéficié de l’expertise d’un entraîneur, le courte
piste l’amène à améliorer substantiellement sa technique de
base : « j’ai appris à patiner avec Pat [Patrick
Bélanger, entraîneur-chef au CREM-PVQ]. Ça fait 35 ans que je
patine et j’ai appris à patiner cette année! » En outre,
nos trois gaillards affectionnent particulièrement l’atmosphère
de camaraderie qui règne inévitablement sur la patinoire en courte
piste.
Questions de performance
À
ma surprise, tous les trois sont impatients de parler de performance
par rapport à l’âge. Gaétan me confie avoir atteint son pic dans
la jeune cinquantaine. C’est à ce moment qu’il aura éprouvé le
plus de plaisir et d’intensité dans le patinage de vitesse. Jules,
lui, se sent comme à vingt ans en regard de ses habiletés et de son
attitude face au sport, bien qu’il admette que ses prouesses
sportives ont diminué. Cependant, si ses facultés physiques
changent, l’effort qu’il fournit demeure constant, et Jules
continue de toujours donner le meilleur de lui-même, peu importe ses
capacités.
Quant
à Yves, ses performances se maintiennent depuis ses débuts jusqu’à
maintenant. Selon lui, c’est un peu grâce au courte piste, en
partie parce que la saison débute plus tôt. Il admet que l’âge a
influencé son agilité, mais ajoute que le courte piste a contribué
à améliorer sa concentration, sa maîtrise de la technique et ses
capacités physiques à l’effort.
Dans
leur entourage, l’intensité et la fréquence de leur activité
sportive surprennent. Comme les groupes de maîtres ne bénéficient
pas de subventions sportives ni de tarifs réduits, Jules, Yves et
Gaétan doivent se lever aussi tôt que 5 h 30 pour
aller patiner à l’aréna. Et pendant que beaucoup de gens de leur
âge « restent assis dans des chaises berçantes à faire des
mots croisés », eux font du patinage de vitesse sur courte
piste et sur longue piste, et des marathons de glace. « Pour
nous, c’est normal d’aller patiner 25 km un matin, c’est
notre mode de vie. Mais quand tu parles à monsieur et madame
Tout-le-monde, on n’est pas normal! », s’amuse Jules.
Cependant, il ajoute avec candeur que « c’est le fun, des
fois, faire des choses un peu extraordinaires ».
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