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1 mars 2017

Quand vitesse rime avec sagesse

Texte: Julie Doyon
Photos:Anika Bédard et André Pouliot



Depuis quelques années, je côtoie de véritables phénomènes sur les patinoires de la région de Québec. Que ce soit sur les interminables droits du 400 mètres de l’anneau de glace Gaétan-Boucher ou les virages serrés du 111 mètres des patinoires intérieures, trois d’entre eux ont particulièrement capté mon attention, du fait que ces mordus de vitesse sur glace ont tous les trois dépassé l’âge vénérable de 65 ans.
Curieuse et, je l’avoue, charmée, j’ai voulu en apprendre davantage sur les particularités que comporte la pratique du patinage de vitesse chez de si augustes athlètes. J’ai donc rencontré Jules Lefebvre, 66 ans, Gaétan Rochette, 69 ans, et Yves Garneau, 75 ans, pour parler de patin et de dépassement de soi, mais aussi pour en connaître un peu plus sur leurs motivations, leur parcours et les défis qu’ils prennent plaisir à relever sans relâche.

Au commencement était le longue piste…

C’est en 2012 que le fougueux Jules Lefebvre s’initie au patinage de vitesse sur longue piste. Son ami cycliste Gilles Champagne, un patineur très impliqué au sein du Club de patinage de vitesse des maîtres de Québec (CPVMQ), lui propose d’essayer le patin comme activité complémentaire au vélo pendant les longs mois de neige. « Le patinage de vitesse, c’était toujours dans ma tête. Dans ma vie, ça m’a toujours intéressé, mais je pensais que c’était inaccessible au grand public », confie-t-il. D’abord relégué au rang d’activité de second ordre, le patinage de vitesse acquiert bientôt une valeur intrinsèque et devient pour lui une discipline à laquelle se consacrer entièrement. Ainsi, Jules est toujours prêt à patiner des longues distances et déplore d’ailleurs que l’épreuve de 50 km ne figure plus au programme du marathon de Québec. 
De son côté, Gaétan Rochette, véritable pionnier du patinage de vitesse à Québec, grimpe sur des longues lames pour la première fois en 1982. Il saute d’abord sur le 400 mètres dans l’intention d’accompagner son fils lors d’entraînements sur l’anneau de glace. Le parcours de Gaétan révèle les premiers balbutiements du patinage de vitesse chez les maîtres dans la capitale. En 1987, Pierre Gagné fonde le Club des maîtres de Québec, où il fait office d’entraîneur. « Pierre Gagné a été mon premier coach. Il m’a dit : "Suis-moi et fais comme moi!" », s’amuse Gaétan, qui s’implique dès lors énormément dans les coulisses du patinage de vitesse, notamment au sein du CPVMQ, de l’IMSSC (regroupement international des maîtres en patinage de vitesse) et du MSI (Série internationale de marathon sur glace), en plus de participer à nombre de compétitions régionales, provinciales, nationales et internationales.
Quant à Yves Garneau, animé d’un esprit de compétition hors du commun, il chausse des patins de vitesse pour la première fois à l’âge de 59 ans. Ce qui l’attire d’abord dans ce sport, c’est la beauté de la glisse et l’élégance du mouvement. Il se rappelle comme si c’était hier sa première expérience sur l’anneau de glace Gaétan-Boucher, un soir d’automne, sous une pluie torrentielle. Malgré tout, c’est le coup de foudre, et Yves ne pourra réprimer l’envie d’acheter des patins clap, quelques jours plus tard. Comptant aujourd’hui 75 médailles à son actif, il affirme être mû par le désir de compétitionner et de vaincre, de se hisser parmi les meilleurs maîtres au monde et de remporter des médailles dans sa catégorie. Son amour des marathons provient également de la sensation de liberté que les vastes étendues de glace naturelle suscitent en lui. 

… Puis vint le courte piste

Pour des patineurs jusque-là tenus à la merci des caprices de Dame Nature sur l’anneau de glace extérieur, l’attrait du courte piste réside d’abord dans la prévisibilité et la constance des conditions d’entraînement. Même lorsque les hivers sont cléments, les conditions peuvent être difficiles sur l’anneau de Sainte-Foy. Si la neige et la pluie peuvent carrément causer la fermeture temporaire de l’ovale, les vents cinglants et les froids cruels peuvent, quant à eux, décourager plus d’un patineur de s’y aventurer. Ainsi, avant de joindre les rangs du Club régional d’entraînement des Mustangs en patinage de vitesse de Québec (CREM-PVQ), un club fondé en 2014 se dédiant principalement au courte piste chez les séniors et les maîtres, nos trois diables se retrouvent une fois par semaine avec d’autres maîtres à l’aréna de Saint-Étienne, sur la rive sud de Québec, pour enfiler des tours à la bonne franquette, sans entraîneur ni plan d’entraînement, et en installant les matelas de protection plutôt rustiquement.
Puis, c’est Yves qui saisit le premier l’occasion de s’entrainer plus sérieusement en courte piste, n’hésitant pas à s’inscrire avec les Mustangs dès la naissance du club. L’année suivante, il enrôle son ami Gaétan, qui est ensuite suivi de Jules, au début de la saison actuelle.
Leur arrivée en courte piste entraîne un lot d’apprentissages inattendus qui enrichissent leur performance et attisent leur passion pour le patinage de vitesse. Ils se heurtent à de nouveaux défis, comme le contrôle de la vitesse, la recherche de stabilité ou l’apprivoisement de leurs craintes. En courte piste, tout se passe très rapidement, l’adrénaline fuse, et beaucoup de patineurs circulent en même temps sur une surface aux dimensions plutôt limitées. Il faut assimiler de nouvelles règles de sécurité, apprendre à gérer un nouvel espace, à faire des relais, à dépasser, à patiner suivant divers tracés, il faut affiner sa technique. Les virages serrés du 111 mètres ne pardonnent guère les écarts de manœuvres.
En peu de temps, ils se rendent compte que les avantages considérables de tous ces apprentissages sont transposables sur longue piste. Pour Gaétan, qui n’avait jamais vraiment bénéficié de l’expertise d’un entraîneur, le courte piste l’amène à améliorer substantiellement sa technique de base : « j’ai appris à patiner avec Pat [Patrick Bélanger, entraîneur-chef au CREM-PVQ]. Ça fait 35 ans que je patine et j’ai appris à patiner cette année! » En outre, nos trois gaillards affectionnent particulièrement l’atmosphère de camaraderie qui règne inévitablement sur la patinoire en courte piste. 

Questions de performance

À ma surprise, tous les trois sont impatients de parler de performance par rapport à l’âge. Gaétan me confie avoir atteint son pic dans la jeune cinquantaine. C’est à ce moment qu’il aura éprouvé le plus de plaisir et d’intensité dans le patinage de vitesse. Jules, lui, se sent comme à vingt ans en regard de ses habiletés et de son attitude face au sport, bien qu’il admette que ses prouesses sportives ont diminué. Cependant, si ses facultés physiques changent, l’effort qu’il fournit demeure constant, et Jules continue de toujours donner le meilleur de lui-même, peu importe ses capacités.
Quant à Yves, ses performances se maintiennent depuis ses débuts jusqu’à maintenant. Selon lui, c’est un peu grâce au courte piste, en partie parce que la saison débute plus tôt. Il admet que l’âge a influencé son agilité, mais ajoute que le courte piste a contribué à améliorer sa concentration, sa maîtrise de la technique et ses capacités physiques à l’effort.
Dans leur entourage, l’intensité et la fréquence de leur activité sportive surprennent. Comme les groupes de maîtres ne bénéficient pas de subventions sportives ni de tarifs réduits, Jules, Yves et Gaétan doivent se lever aussi tôt que 5 h 30 pour aller patiner à l’aréna. Et pendant que beaucoup de gens de leur âge « restent assis dans des chaises berçantes à faire des mots croisés », eux font du patinage de vitesse sur courte piste et sur longue piste, et des marathons de glace. « Pour nous, c’est normal d’aller patiner 25 km un matin, c’est notre mode de vie. Mais quand tu parles à monsieur et madame Tout-le-monde, on n’est pas normal! », s’amuse Jules. Cependant, il ajoute avec candeur que « c’est le fun, des fois, faire des choses un peu extraordinaires ».
Cela va sans dire, ces trois phénomènes accomplissent réellement des exploits formidables!

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