Texte: Catherine Mailloux
«Vous faites juste tourner en rond», s’exclama un camarade de classe lors d’une présentation orale que j’avais faite sur le sport que je pratique depuis «l'après-berceau», le patinage de vitesse.
Photos: Tony Chung (@SHORTTRACKHD) et Catherine Mailloux
«Vous faites juste tourner en rond», s’exclama un camarade de classe lors d’une présentation orale que j’avais faite sur le sport que je pratique depuis «l'après-berceau», le patinage de vitesse.
Une promenade dans ma ville natale m’a permis de me remémorer ce moment qui m’avait, à l'époque, blessée. J’allais ici et là dans mon quartier lors du congé pascal, en observant les changements qui ont eu lieu durant mon absence, me laissant porter par ma nature nostalgique qui me pousse vers les lieux où ma mémoire a fait halte il y a des années. J’avais arrêté mon pas devant l’école primaire que j’ai fréquentée plus jeune. L’entrée extérieure avait été rénovée, la garderie reconstruite... Puis le souvenir de cette présentation orale m’est alors apparu. La remarque «vous faites juste tourner en rond» se promenait dans ma tête. À l’époque, je n’avais su quoi répondre au commentaire gratuit et rempli d’ignorance de mon camarade de classe. Ce qui m’a frappée, dans cette remémoration, c’est qu'aujourd’hui, à 18 ans, j’ai la réponse.
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Pour nous, patineurs de vitesse, la complexité du sport fait partie de notre quotidien, et en prenant un brin de recul, il est évident que la principale caractéristique du patinage de vitesse, celle de tourner en rond et toujours à gauche, se détache complètement de la vraie complexité des choses auxquelles les patineurs doivent faire face. Pour être honnête, tourner en rond n’est pas quelque chose à laquelle on pense lorsque nous posons le patin sur la glace: c’est inné, c’est naturel, c’est une évidence pour le corps, c’est un besoin du corps. En réalité, avec contrôle nous devons pousser, coordonner, forcer, glisser, penser, maîtriser, courser, anticiper, décider, respirer, compter, s’amuser, …, et oui, il nous arrive même de sourire, tellement cet agrégat de tâches et de sensations est satisfaisant, comblant. Nous défions les lois de la gravité tout en travaillant en symbiose avec elle, tandis que d’autres choisissent de défier les lois judiciaires.
«Je me dis que, si elles n’en étaient pas toutes mortes, c’est que la douleur ne tue pas.¹»
La douleur est une bête féroce qu'on doit affronter de façon quotidienne et plus on lui tient tête, plus on l’apprivoise avec le temps, et plus on apprend à coopérer avec elle. La douleur est souvent diamétralement opposée avec elle-même, c’est-à-dire qu’elle peut nous transbahuter sauvagement vers l’abandon ou nous prendre par la main et nous transporter vers ce lieu qu'on appelle le dépassement de soi. Chez plusieurs personnes, cette manière de travailler avec la douleur n’est pas innée. Au contraire, c’est le résultat d’un long processus de travail sur soi. En effet, la barrière physique et mentale est fine entre arrêter, rongé par la fatigue, et faire une rep de plus, un croisé de plus, un tour de plus. À chaque fois qu'on y parvient, on se rend compte que la douleur est une bête qui ne tue pas.
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Bref, c’est ce que j’aurais aimé répondre à mon camarade de classe après ma présentation orale il a quelques années. Le patinage de vitesse est un sport hautement complexe qui nécessite une grande connaissance de soi, une discipline hors pair, une concentration à toute épreuve, et j'en passe. Tourner en rond ne suffit pas.
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¹ HARPMAN Jacqueline, Moi qui n’ai pas connu les hommes, Paris, Le livre de Poche, 1995, p.82
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