(Carl Savard - Passion/Patin/Vitesse)
Il
y a de ces choses dans la vie que l'on fait sans se questionner,
comme mettre un pied devant l'autre, ouvrir une porte ou se brosser
les dents. Nous posons ces gestes depuis tellement longtemps, que
nous avons oublié à quel moment nous les avons posés pour la
première fois. Se questionner sur le comment ou le pourquoi ne nous
vient jamais en tête. D'une certaine façon, à force d'être
répétés, ces gestes sont devenus une partie de nous-même. Pour
Sasha Fathoullin, le patinage de vitesse fait partie de cette liste.
Le jeune homme homme de vingt-et-un an, né d'une mère canadienne et
d'un père russe, a débuté le patinage de vitesse courte piste à
l'âge de quatre ans et ne s'est jamais demandé pourquoi... jusqu'à
l'an dernier.
C'est
à Iqaluit, au Nunavut, que Sasha Fathoullin donne ses premiers coups
de patins. Avec une population d'environ 6700 âmes, Iqaluit est la
plus petite capitale du Canada, mais elle représente le plus grand
territoire canadien en superficie. Son premier entraîneur, John
Maurice, est à l'origine de la fondation du Iqaluit Speed Skating
Club, mis sur pied au début des années quatre-vint-dix avec l'aide
de Sandra Chenard de Patinage de Vitesse Canada. Un échange avec
John Maurice, m'a permis de prendre conscience de la fierté qui
l'habite d'avoir fait parti du parcours de vie de Sasha : «
Dès le début il était évident que Sasha était un bon patineur.
Il arrivait a accomplir des exercices demandant beaucoup d'équilibre
et d'agilité sur la glace. J'étais toujours impressionné et je suis
resté en contact avec la famille Fathoullin après leur déménagement
vers Calgary. J'ai continué à suivre son développement en
compétition par la suite. »
La
famille Fathoullin quitte Iqaluit pour Calgary alors que Sasha a six
ans. C'est à Calgary qu'il commence à compétitionner autant en
patinage de vitesse courte piste que longue piste. Très rapidement,
Sasha fait tomber les records dans les deux disciplines à chaque
groupe d'âge où il compétitionne. À quatorze ans, il décide de
se concentrer sur le courte piste et est vite perçu comme l'un des
plus beaux espoirs aux pays. À seize ans, sur invitation du
quadruple champion du monde Marc Gagnon, Sasha quitte Calgary pour
venir s'installer à Montréal. C'est sous la tutelle de Gagnon et de
Jonathan Guillemette, à l'époque entraîneur chef du CRCE et triple
médaillé Olympique, que ses rêves internationaux prennent forme.
Ses performances nationales le propulsent promptement sur l'échiquier
mondial, avec trois participations consécutives aux Championnats du Monde Juniors. Il joindra par la suite l'équipe nationale et
représentera le pays sur le circuit de la Coupe du Monde et aux
Championnats du Monde. En 2015, à sa première participation en
carrière en Coupe du Monde, Sasha aide l'équipe canadienne à
remporter l'or au relais, en plus d'ajouter une médaille d'argent à
l'épreuve individuelle de 500m. Au même moment, dans les estrades,
se trouve John Maurice, qui a fait le voyage de Iqaluit vers Toronto
pour venir l'encourager. Tout semble parfait, un vrai scénario de
film. Le petit gars, possédant un don, né dans un petit village du
grand nord, qui a traversé le pays à deux reprises avant de faire
son entrée dans La Mecque du patinage de vitesse pour réaliser son
rêve. Le petit gars qui, à sa première occasion d'affronter les
meilleurs au monde dans sa discipline, remporte deux médailles
devant sa famille et son premier entraîneur. Avec un tel scénario
hollywoodien, on ne peut s'empêcher de vouloir le revoir sur la
glace au plus vite. On saisit la télécommande et on avance le film jusqu'à septembre 2016, alors que se tient la première compétition
d'importance de la saison en sol canadien, mais rapidement on se rend
compte, que le jeune homme n'y est pas. Alors on rembobine le film...
pour mieux comprendre.
Rembobiner.
Prendre du recul. C'est exactement l'angle que je voulais donner à
ma rencontre avec Sasha Fathoullin, au premier jour des Championnats
Canadiens Séniors. Je voulais savoir comment allait le jeune homme,
ce qui s'était passé. Pourquoi était-il absent des sélections
nationales en septembre dernier, alors qu'il avait remporté quelques
mois auparavant, le prix de l'étoile montante en courte piste au gala
de Patinage de Vitesse Canada. Je n'avais pas envie de poser ces
questions aux gens qui gravitent autour du patinage de vitesse, à
son entourage ou à ses entraîneurs. Je voulais lui demander à lui,
comment il allait. Pas le classique Comment ça va? qu'on
utilise d'emblée en croisant quelqu'un et dont la réponse sera
presque assurément Bien! Je voulais commencer par un Comment
ça va? venant du cœur et pendant une heure, c'est par des
réponses venant du cœur que Sasha Fathoullin a répondu à mes
questions.
Sasha
m'a confié que pour le passionné de patinage de vitesse courte
piste que je suis, ses dernières saisons pouvaient avoir eu l'air
d'un film joyeux, mais que la réalité n'était pas aussi rose.
C'est avec beaucoup de candeur qu'il m'a parlé de la pression qu'il
s'était mise sur les épaules lorsqu'il avait eu l'opportunité de
représenter le Canada aux Championnats Mondiaux Juniors à trois
reprises. Comment il s'était mal préparé entre les sélections
pour atteindre ses compétitions majeures et les championnats
eux-mêmes. À l'époque, il n'avait pas confiance que ses
performances au pays et sa préparation standard lui permettraient de
compétitionner avec les meilleurs juniors au monde. Il pensait qu'il
devait en faire plus, allant même jusqu'à tenter de nouvelles
approches qui ne lui apportèrent rien d'autre que le sentiment, une
fois sur place, de ne pas être prêt. Il m'a aussi parlé
ouvertement du fait que bien que la saison 2015-2016 ait été
impressionnante au niveau de ses résultats sportifs, sur le plan
personnel ce fût l'année la plus difficile de sa vie. Pour la
première fois de sa carrière, il était incommodé par une
blessure, mais ne voulait pas s'en plaindre parce qu'à ce moment, il
avait l'opportunité de se trouver là où il avait toujours voulu
être. Puis, un autre problème de santé important avait fait son
apparition. Il s'était mis à souffrir de problèmes d'insomnie
majeur, allant même jusqu'à être plusieurs jours sans dormir.
Malgré la blessure et l'insomnie, il avait continué à se rendre à
l'aréna pour s'entraîner, parce que ça faisait partie de sa
routine et qu'il ne voulait pas avoir l'air faible ou être une
distraction pour l'équipe. Il avait fini par tomber en mode pilote
automatique et tenté de maintenir le rythme en espérant que les
choses se placent, en vain. Il avait finalement réalisé qu'un
sentiment, jamais ressenti auparavant, s'était emparé de lui. Pour
la première fois de sa vie, il n'avait plus de plaisir sur la glace,
ce qui pour lui était totalement anormal. Cette prise de conscience,
lui avait envoyé un message clair: il avait besoin d'une pause, une
vrai pause. Depuis l'âge de quatre ans, il n'avait jamais été loin
de la glace plus de trois mois.
«Je n'abandonne jamais, mais j'avais
besoin de réponses.» me confie Fathoullin dans les estrades de
l'aréna Maurice-Richard, alors que ses coéquipiers des dernières
années se battent sur la glace, pour pouvoir représenter le Canada
aux Championnats du Monde en mars prochain. C'était devenu évident
pour lui, qu'il ne trouverait pas les réponses à ses questions en
continuant de rouler à fond de train. Les signes que son corps lui
envoyait à ce moment étaient clairement des signaux d'alarme. Il
s'apprêtait à frapper un mur. Même s'il faisait partie d'une
équipe quand il était au centre d'entraînement, dans sa vie
personnelle, il se sentait profondément seul et commençait à se
perdre dans ses pensés. Il était dans un gouffre et ne savait pas comment il s'en sortirait.
Certains
attendent trop longtemps, avant de prendre une pause pour remettre
leur compteur à zéro. Certains ne le feront jamais et s'écraseront
violemment. Sasha Fathoullin n'a pas laissé ses premières médailles
obtenues en Coupe du Monde et en Championnats du Monde influencer sa
décision. Il a décidé de débrancher sa carrière, alors qu'il
venait d'atteindre le dernier camp de base avant le sommet ultime.
Cette décision fait foi d'une grande force de caractère, pour un
jeune homme de vingt-et-un an.
Au
cours des six derniers mois, le petit gars d'Iqaluit a pris du temps
pour retourner aux sources. Il a réalisé qu'il pouvait atteindre un
équilibre dans sa vie et tout de même travailler à réaliser ses
rêves. Il avait toujours été reconnaissant envers ses parents et
conscient de l'importance que ceux-ci avaient dans sa vie, mais
prendre du temps pour discuter avec eux de ce qu'il avait vécu dans
les dernières années, lui a confirmé que ses parents l'appuieraient nonobstant des décisions qu'il prendrait suite à
cette pause. Cette pause lui a permis de réaliser qu'il était en
charge de son avenir et que c'était à lui de faire les choix qui
lui permettrait d'être profondément heureux dans la vie.
Appuyé
par ses entraîneurs, Sasha est de retour à l'entraînement.
Travaillant principalement en salle de musculation à rebâtir sa
masse musculaire, et sur le vélo à retrouver ses capacités
aérobiques, il a rechaussé ses patins dimanche dernier pour la
première fois, depuis un long moment. Même s'il n'était pas sur la
glace lors des Championnats Canadiens Séniors, Fathoullin a été
présent à l'aréna tout le weekend. Étant placé dans une
situation inhabituelle, son expérience fut par moment douce-amère,
mais c'est avec beaucoup d'intérêt qu'il a suivi ce qui se passait
sur la glace. Être spectateur lui a permis d'apprécier les actions
posées par les patineurs sur la glace et de faire preuve d'empathie
avec eux dimanche, alors que les enjeux étaient grands et que
l'adrénaline était à son paroxysme.
Il
y a de ces choses dans la vie que l'ont fait sans se questionner,
sans se demander pourquoi. Pendant seize ans, le patinage de vitesse
était l'une de ces choses pour Sasha Fathoullin. L'an dernier, il
s'est posé la question et il a trouvé la réponse : parce
qu'il aime ça pour vrai.
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