En quête de sens: rencontre avec Sasha Fathoullin ~ Passion/Patin/Vitesse - Passion/Speed/Skating

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25 janvier 2017

En quête de sens: rencontre avec Sasha Fathoullin

Les photos sur glace de cet article courtoisie de  Tony Chung @SHORTTRACKHD

(Carl Savard - Passion/Patin/Vitesse) 

Il y a de ces choses dans la vie que l'on fait sans se questionner, comme mettre un pied devant l'autre, ouvrir une porte ou se brosser les dents. Nous posons ces gestes depuis tellement longtemps, que nous avons oublié à quel moment nous les avons posés pour la première fois. Se questionner sur le comment ou le pourquoi ne nous vient jamais en tête. D'une certaine façon, à force d'être répétés, ces gestes sont devenus une partie de nous-même. Pour Sasha Fathoullin, le patinage de vitesse fait partie de cette liste. Le jeune homme homme de vingt-et-un an, né d'une mère canadienne et d'un père russe, a débuté le patinage de vitesse courte piste à l'âge de quatre ans et ne s'est jamais demandé pourquoi... jusqu'à l'an dernier.

C'est à Iqaluit, au Nunavut, que Sasha Fathoullin donne ses premiers coups de patins. Avec une population d'environ 6700 âmes, Iqaluit est la plus petite capitale du Canada, mais elle représente le plus grand territoire canadien en superficie. Son premier entraîneur, John Maurice, est à l'origine de la fondation du Iqaluit Speed Skating Club, mis sur pied au début des années quatre-vint-dix avec l'aide de Sandra Chenard de Patinage de Vitesse Canada. Un échange avec John Maurice, m'a permis de prendre conscience de la fierté qui l'habite d'avoir fait parti du parcours de vie de Sasha : «  Dès le début il était évident que Sasha était un bon patineur. Il arrivait a accomplir des exercices demandant beaucoup d'équilibre et d'agilité sur la glace. J'étais toujours impressionné et je suis resté en contact avec la famille Fathoullin après leur déménagement vers Calgary. J'ai continué à suivre son développement en compétition par la suite. »


La famille Fathoullin quitte Iqaluit pour Calgary alors que Sasha a six ans. C'est à Calgary qu'il commence à compétitionner autant en patinage de vitesse courte piste que longue piste. Très rapidement, Sasha fait tomber les records dans les deux disciplines à chaque groupe d'âge où il compétitionne. À quatorze ans, il décide de se concentrer sur le courte piste et est vite perçu comme l'un des plus beaux espoirs aux pays. À seize ans, sur invitation du quadruple champion du monde Marc Gagnon, Sasha quitte Calgary pour venir s'installer à Montréal. C'est sous la tutelle de Gagnon et de Jonathan Guillemette, à l'époque entraîneur chef du CRCE et triple médaillé Olympique, que ses rêves internationaux prennent forme. Ses performances nationales le propulsent promptement sur l'échiquier mondial, avec trois participations consécutives aux Championnats du Monde Juniors. Il joindra par la suite l'équipe nationale et représentera le pays sur le circuit de la Coupe du Monde et aux Championnats du Monde. En 2015, à sa première participation en carrière en Coupe du Monde, Sasha aide l'équipe canadienne à remporter l'or au relais, en plus d'ajouter une médaille d'argent à l'épreuve individuelle de 500m. Au même moment, dans les estrades, se trouve John Maurice, qui a fait le voyage de Iqaluit vers Toronto pour venir l'encourager. Tout semble parfait, un vrai scénario de film. Le petit gars, possédant un don, né dans un petit village du grand nord, qui a traversé le pays à deux reprises avant de faire son entrée dans La Mecque du patinage de vitesse pour réaliser son rêve. Le petit gars qui, à sa première occasion d'affronter les meilleurs au monde dans sa discipline, remporte deux médailles devant sa famille et son premier entraîneur. Avec un tel scénario hollywoodien, on ne peut s'empêcher de vouloir le revoir sur la glace au plus vite. On saisit la télécommande et on avance le film jusqu'à septembre 2016, alors que se tient la première compétition d'importance de la saison en sol canadien, mais rapidement on se rend compte, que le jeune homme n'y est pas. Alors on rembobine le film... pour mieux comprendre.

Rembobiner. Prendre du recul. C'est exactement l'angle que je voulais donner à ma rencontre avec Sasha Fathoullin, au premier jour des Championnats Canadiens Séniors. Je voulais savoir comment allait le jeune homme, ce qui s'était passé. Pourquoi était-il absent des sélections nationales en septembre dernier, alors qu'il avait remporté quelques mois auparavant, le prix de l'étoile montante en courte piste au gala de Patinage de Vitesse Canada. Je n'avais pas envie de poser ces questions aux gens qui gravitent autour du patinage de vitesse, à son entourage ou à ses entraîneurs. Je voulais lui demander à lui, comment il allait. Pas le classique Comment ça va? qu'on utilise d'emblée en croisant quelqu'un et dont la réponse sera presque assurément Bien! Je voulais commencer par un Comment ça va? venant du cœur et pendant une heure, c'est par des réponses venant du cœur que Sasha Fathoullin a répondu à mes questions.

Sasha m'a confié que pour le passionné de patinage de vitesse courte piste que je suis, ses dernières saisons pouvaient avoir eu l'air d'un film joyeux, mais que la réalité n'était pas aussi rose. C'est avec beaucoup de candeur qu'il m'a parlé de la pression qu'il s'était mise sur les épaules lorsqu'il avait eu l'opportunité de représenter le Canada aux Championnats Mondiaux Juniors à trois reprises. Comment il s'était mal préparé entre les sélections pour atteindre ses compétitions majeures et les championnats eux-mêmes. À l'époque, il n'avait pas confiance que ses performances au pays et sa préparation standard lui permettraient de compétitionner avec les meilleurs juniors au monde. Il pensait qu'il devait en faire plus, allant même jusqu'à tenter de nouvelles approches qui ne lui apportèrent rien d'autre que le sentiment, une fois sur place, de ne pas être prêt. Il m'a aussi parlé ouvertement du fait que bien que la saison 2015-2016 ait été impressionnante au niveau de ses résultats sportifs, sur le plan personnel ce fût l'année la plus difficile de sa vie. Pour la première fois de sa carrière, il était incommodé par une blessure, mais ne voulait pas s'en plaindre parce qu'à ce moment, il avait l'opportunité de se trouver là où il avait toujours voulu être. Puis, un autre problème de santé important avait fait son apparition. Il s'était mis à souffrir de problèmes d'insomnie majeur, allant même jusqu'à être plusieurs jours sans dormir. Malgré la blessure et l'insomnie, il avait continué à se rendre à l'aréna pour s'entraîner, parce que ça faisait partie de sa routine et qu'il ne voulait pas avoir l'air faible ou être une distraction pour l'équipe. Il avait fini par tomber en mode pilote automatique et tenté de maintenir le rythme en espérant que les choses se placent, en vain. Il avait finalement réalisé qu'un sentiment, jamais ressenti auparavant, s'était emparé de lui. Pour la première fois de sa vie, il n'avait plus de plaisir sur la glace, ce qui pour lui était totalement anormal. Cette prise de conscience, lui avait envoyé un message clair: il avait besoin d'une pause, une vrai pause. Depuis l'âge de quatre ans, il n'avait jamais été loin de la glace plus de trois mois. 

«Je n'abandonne jamais, mais j'avais besoin de réponses.» me confie Fathoullin dans les estrades de l'aréna Maurice-Richard, alors que ses coéquipiers des dernières années se battent sur la glace, pour pouvoir représenter le Canada aux Championnats du Monde en mars prochain. C'était devenu évident pour lui, qu'il ne trouverait pas les réponses à ses questions en continuant de rouler à fond de train. Les signes que son corps lui envoyait à ce moment étaient clairement des signaux d'alarme. Il s'apprêtait à frapper un mur. Même s'il faisait partie d'une équipe quand il était au centre d'entraînement, dans sa vie personnelle, il se sentait profondément seul et commençait à se perdre dans ses pensés.  Il était dans un gouffre et ne savait pas comment il s'en sortirait. 

Certains attendent trop longtemps, avant de prendre une pause pour remettre leur compteur à zéro. Certains ne le feront jamais et s'écraseront violemment.  Sasha Fathoullin n'a pas laissé ses premières médailles obtenues en Coupe du Monde et en Championnats du Monde influencer sa décision. Il a décidé de débrancher sa carrière, alors qu'il venait d'atteindre le dernier camp de base avant le sommet ultime. Cette décision fait foi d'une grande force de caractère, pour un jeune homme de vingt-et-un an.

Au cours des six derniers mois, le petit gars d'Iqaluit a pris du temps pour retourner aux sources. Il a réalisé qu'il pouvait atteindre un équilibre dans sa vie et tout de même travailler à réaliser ses rêves. Il avait toujours été reconnaissant envers ses parents et conscient de l'importance que ceux-ci avaient dans sa vie, mais prendre du temps pour discuter avec eux de ce qu'il avait vécu dans les dernières années, lui a confirmé que ses parents l'appuieraient nonobstant des décisions qu'il prendrait suite à cette pause. Cette pause lui a permis de réaliser qu'il était en charge de son avenir et que c'était à lui de faire les choix qui lui permettrait d'être profondément heureux dans la vie.

Appuyé par ses entraîneurs, Sasha est de retour à l'entraînement. Travaillant principalement en salle de musculation à rebâtir sa masse musculaire, et sur le vélo à retrouver ses capacités aérobiques, il a rechaussé ses patins dimanche dernier pour la première fois, depuis un long moment. Même s'il n'était pas sur la glace lors des Championnats Canadiens Séniors, Fathoullin a été présent à l'aréna tout le weekend. Étant placé dans une situation inhabituelle, son expérience fut par moment douce-amère, mais c'est avec beaucoup d'intérêt qu'il a suivi ce qui se passait sur la glace. Être spectateur lui a permis d'apprécier les actions posées par les patineurs sur la glace et de faire preuve d'empathie avec eux dimanche, alors que les enjeux étaient grands et que l'adrénaline était à son paroxysme.

Il y a de ces choses dans la vie que l'ont fait sans se questionner, sans se demander pourquoi. Pendant seize ans, le patinage de vitesse était l'une de ces choses pour Sasha Fathoullin. L'an dernier, il s'est posé la question et il a trouvé la réponse : parce qu'il aime ça pour vrai. 


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