Alex Lepage-Farrell: médecine et adrénaline ~ Passion/Patin/Vitesse - Passion/Speed/Skating

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30 janvier 2019

Alex Lepage-Farrell: médecine et adrénaline



Un texte de Catherine Mailloux
Photos: Sébastien Cadorette, Dominic Tanguay et collection personnelle d'Alex Lepage-Farrell

J’ai vu Alex pour la première fois il y a bien des années à un camp de patinage de vitesse dans ma ville natale: son oncle était mon entraîneur à l’époque. À ce moment, je ne savais pas que j’avais devant moi une future médecin et une future patineuse accomplie en même temps! 

Native de Sherbrooke et d’une famille de sportifs, Alex Lepage-Farrell a goûté au sport dès son plus jeune âge. Même si elle a pratiqué récréativement le tennis et le soccer, c’est néanmoins le patinage de vitesse qui a conquis son coeur à son 10e anniversaire. « Cependant, c’était pas inné, pour moi. J’ai dû beaucoup travailler », avoue-t-elle. C’est lorsqu’elle accède au circuit élite québécois à la fin du secondaire que l’actuelle résidente en pédiatrie saisit le potentiel qu’elle a dans ce sport.
Les années de Cégep
Lors de ses études collégiales, Alex Lepage-Farrell a étudié durant deux ans en sciences de la nature à temps plein au Cégep de Sherbrooke, sachant qu’elle visait le domaine de la santé comme carrière. Elle a alors continué à concilier le sport et les études, même si cette tâche était ardue. Dans la deuxième année de son parcours collégial, la jeune patineuse a pris la décision de ne pas se présenter à la qualification nationale à Calgary, lui privant ainsi l’accès aux championnats canadiens juniors, aux championnats du monde junior et au circuit senior, même si celle-ci était bien qualifiée en début de saison, car cela aurait impliqué pour elle qu’elle manque les deux dernières semaines d’école de la session, dont une semaine d’examens. « Ça a pas mal signé la fin de ma ‘’première’’ carrière de patin, si on peut dire. J’étais jeune et j’avais de la difficulté à assumer mes objectifs scolaires et sportifs en même temps. Je voulais être bonne dans tout. Peut-être par manque de maturité, je trouvais injuste de devoir patiner contre d’autres filles qui n’avaient pas autant de cours que moi », confie-t-elle. Cela affectait beaucoup sa motivation et a contribué à créer un manque d’assiduité à l’entraînement qui l’a tranquillement menée à l’arrêt du patinage de vitesse: « J’avais beaucoup de frustration, et en rétrospective, des années plus tard, je sens que c’était plus comme un abandon camouflé… Concilier le sport et les études aurait été possible si j'avais accepté de consacrer moins de temps à la glace, mais de m'y consacrer pleinement. Je n’étais pas assez mature pour le reconnaître. »

Les années de médecine
L’année suivante, la Sherbrookoise a récolté le fruit de ses efforts académiques: elle intègre le programme de médecine de l’Université de Sherbrooke. La première année, l’étudiante en médecine a avoué s’être ennuyée du patinage de vitesse: « Ça m’a manquée, mais pas au point de recommencer. Je n’avais aucun regret. Je me disais que j’avais fait mes années. » De nouvelles difficultés se sont aussi dressées sur son chemin. « J’ai dû apprendre à ne plus être première de classe, car j’étais entourée de personnes toutes performantes », se confie-t-elle. La future médecin a ainsi dû trouver des méthodes de travail qui fonctionnaient pour elle. Comme elle l’a mentionné, tout est dans l’acceptation de ses choix: « Au départ, j’ai pris la décision de continuer à avoir une vie sociale et une vie active. Alors, j’ai dû accepter de faire ça pour moi et accepter ce que je pouvais donner comme travail. » La Sherbrookoise a aussi confié que ses études en médecine ont représenté un gros travail sur elle-même afin d’être en paix avec ses résultats, et qu’il est très facile de se perdre: « Je peux pas m’en vouloir d’être restée fidèle à moi-même et aux choix que j’avais faits au départ.  »

Durant les quatre ans que dure le doctorat en médecine à l’Université de Sherbrooke, cross fit, course et natation l’ont gardée active: « Je voulais garder la sensation du sport, pour demeurer en forme, mais aussi pour me changer les idées. J’ai aussi fait deux demi-marathons, pas pour la compétition, mais pour moi. »

Le retour de la patineuse
La jeune diplômée en médecine de l’Université de Sherbrooke s’est inscrite au camp d’été de patin de sa ville natale, l’été suivant l’obtention de son diplôme. « Cet été-là, j’ai aussi fait le 24h roller de Montréal avec mes amis. J’ai eu tellement de plaisir! » admet-elle. À l’automne de cette même année, la première compétition du circuit élite québécois se tenait à Sherbrooke: « J’étais médecin désigné lors de cette compétition, et honnêtement, je ne me suis souvenu que des bons moments vécus dans ce sport, le reste était parti. » Dre Lepage-Farrell marque cet évènement comme l’élément déclencheur de son retour dans le patinage de vitesse. Elle a alors recommencé à patiner, pour le plaisir, quand son horaire lui permettait. « Ils [ses collègues d’entraînement et ses entraîneurs] me prenaient quand je passais. Je ne ramenais pas le travail au patin ni le patin au travail. Quand j’étais dans l’un des deux, j’y étais à 100% », dit-elle en affirmant que son entourage l’a beaucoup aidée. Après quelque temps d’entraînement, son entraîneur de Sherbrooke lui a demandé si elle était intéressée à recommencer la compétition. Après un peu de réflexion, elle a accepté de recommencer la compétition… en bas de l’échelon! « J’ai pris cette décision parce que maintenant, une fin de semaine de compétition, c’est un moment que je prends pour moi, où j’ai du plaisir. C’est un congé. J’en suis capable, maintenant, des années plus tard, parce que j’accepte tout simplement ma réalité de médecin. Quoi qu’il arrive en compétition, que ça aille bien ou mal, je vais retrouver mes patients le lundi matin », dit la jeune médecin en toute sérénité. Lors des premières compétitions suivant son retour, Alex Lepage-Farrell dit avoir conservé une bonne lecture de course. Ce même automne, elle s’est aussi classée pour les qualifications nationales, où elle occupait le 39e rang avant la compétition: « Je n’avais aucune attente. Zéro. Après deux jours de compétition, j’étais classée 19e et j’ai terminé 21e au terme de la compétition. C’était une grande surprise. » Les 16 premières patineuses avaient accès aux championnats canadiens seniors. « J’étais tellement près! » s’exclame-t-elle. Néanmoins, après sa participation à la deuxième sélection senior, elle termine au 37e rang du classement cumulatif senior de fin de saison.

L’année de médecine familiale
Si on retourne à l’obtention de son diplôme, au terme de ses quatre ans de médecine, Dre Lepage-Farrell entreprend alors une année dans le programme de résidence de médecine familiale à Sherbrooke, après avoir été refusée dans le programme de résidence de pédiatrie. « C’est la première fois que je me faisais dire que je n’étais pas assez bonne. Admettons que je me suis remise en question! » admet-elle. Elle admets également avoir fait partie d’une très belle équipe en médecine familiale, mais que son entrée dans ce programme lui laissait un certain goût doux-amer, puisque certains aspects de cette pratique ne lui ressemblaient pas et puisqu’elle désirait se consacrer à la  pédiatrie seulement: « Un enfant, c’est résilient, c’est plein d’espoir. Les enfants malades dessinent jusqu’au matin de leur mort et ils sont toujours entourés. C’est dans ce domaine que j’ai l’impression d’avoir un réel impact à long terme et de plus m’accomplir. »

Durant cette première année de résidence en médecine familiale (et année de son retour dans le patinage de vitesse), elle entreprend aussi de faire un changement de programme et d’appliquer en pédiatrie pour l’année suivante: un changement qui ne se voit pratiquement pas, comme les postes à combler en médecine familiale sont grands. « Mes chances étaient presque nulles », ajoute-t-elle. Après avoir refait le long processus des applications à la résidence, la patineuse, récemment sortie de sa retraite, reçoit un appel important qui changera le cours de sa carrière professionnelle: le centre hospitalier universitaire Sainte-Justine de Montréal, le plus grand hôpital mère-enfant au Canada et l’un des plus grands centres pédiatriques en Amérique, crée une nouvelle place spécialement pour cette jeune médecin déterminée. « Ma vie a pris un tournant plus qu’excitant, un virage à 180o. C’est une opportunité d’apprentissage énorme. »
La première année de pédiatrie
Nouvellement déménagée à Montréal, Alex Lepage-Farrell débute sa formation en pédiatrie à l’hôpital Sainte-Justine. Elle a quelques cours, mais elle travaille, surtout, et maintenant de grosses responsabilités l’accompagnent. Lors de son stage en soins intensifs pédiatriques le printemps dernier, elle dit s’être moins entraînée, ayant des journées très occupées de 7h à 19h et plus, 5 jours par semaine, couronnés par de longues gardes. « Je réussis à m’entraîner la plupart du temps, puisque j’accepte de manger dans mon auto et puisque je suis une personne intense », dévoile-t-elle en riant. Depuis son arrivée dans la métropole, la jeune médecin s’entraîne avec le club de patinage de vitesse de Montréal-Gadbois: « Je m’entraîne moins que le reste du groupe, mais eux aussi, ils [ses collègues d’entraînement et ses entraîneurs] me prennent quand je passe et ils respectent ce que je peux donner. » dit-elle avec reconnaissance.

Au terme de cette première année de pédiatrie, Dre Lepage-Farrell  s’est non seulement classée pour les sélections seniors, mais elle terminent 23e au cumulatif canadien senior: « Je n’aurais jamais pu prédire ça. Je dois avoir un certain détachement pour rentrer dans ma routine de compétition, mais j’ai aimé la retrouver! Le stress des compétitions est devenu le fun, pour moi. Ça n’a rien avoir avec avant, dans ma “première” carrière. Je ne pensais jamais y reprendre goût autant! À 17 ans, je pensais que mes meilleures années étaient derrière moi », avoue avec émotions celle qui s’est même fait mouler de nouveaux patins.

La deuxième année de pédiatrie
Alex Lepage-Farrell entreprend présentement sa deuxième année de pédiatrie. En septembre dernier, elle termine 18e aux Championnats canadiens seniors, et cela lui vaut une place pour représenter le Canada à l’AM Cup à Salt Lake City, expérience de course incroyable: « C’était stressant de patiner sur une glace aussi rapide et j’ai beaucoup chuté, mais au final, je suis extrêmement contente d’avoir eu la chance de participer à ma première compétition internationale, “à mon âge”! Je suis sincèrement contente que ça soit arrivé  et cela n'aurait jamais été possible sans le soutien inestimable de mes collègues à l'hôpital qui m'ont permis de m'absenter à la dernière minute pour aller poursuivre mes rêves! »

Le futur proche
Dans à peine trois semaines débuteront déjà les applications pour la sur-spécialité en pédiatrie. Elle affectionne particulièrement les soins intensifs pédiatriques: « Je vais tenter ma chance un peu partout dans l’est canadien, mais cette année risque d’être extrêmement compétitive pour les postes! » Elle affirme aussi attaquer la fin de saison sur glace à fond. « On verra les résultats, lance la jeune femme. Je n’ai aucune idée l’année prochaine ressemblera à quoi, puisque j'ai envie de m'investir à 100% dans mes deux carrières.»

On ne peut pas passer à côté de telles accomplissements sans parler de la famille! Le patin, chez les Lepage-Farrell, c’est une affaire de famille, comme la petite soeur d’Alex, Elizabeth, patine également. « Mes parents ont toujours été présents. Quand j’étais jeune, ils me poussaient. Maintenant, ils me ramènent. C’est la voie de la raison. Ils me ramènent à ma réalité, la réalité que j’ai choisie de vivre. Tout est dans l’acceptation des choix qu’on fait. »

« Les gens me demandent si je suis curieuse de savoir où je serais en patin si je n’avais pas arrêté la première fois. Personne ne peut le savoir. Ce que je sais, par contre, c’est qu’au moment des prochaines sélections olympiques, j’en serai à passer mon Collège royal de pédiatrie. Je vais graduer comme pédiatre quoi qu’il arrive. J’échangerais ça pour rien au monde », confie-t-elle.

Que conseillerait Alex Lepage-Farrell aux jeunes qui commencent à vivre avec la conciliation sport-étude? « Il faut choisir, pour soi, ce qu’on veut vraiment faire et assumer ce choix pour n’avoir aucun regret. Personne ne devrait avoir peur du processus quand on fait ce qu’on aime faire. Aussi, avoir d’autres choses dans sa vie, d’autres passions qu’on chérit, peut s’avérer un atout puissant, une carte cachée, même», révèle la jeune femme médecin de 25 ans, étudiante en deuxième année en pédiatrie et patineuse de vitesse accomplie.

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